jeudi 30 décembre 2010, par
Le Jardin des fissures a été mené sur trois années scolaires, parallèlement à la création du jardin, laquelle réalisation technique est le sujet de cet article.
La réalisation technique, longue et complexe, a été essentiellement orientée par les contraintes historiques de cette friche. La pollution industrielle sur une cinquantaine d’années, doublée d’une décharge à ciel ouvert pendant les 20 années suivantes, ont rendu nécessaire une première phase technique :
La réalisation technique s’est opérée en 4 grandes étapes d’août à mai 2009 :
Nettoyage et préparation du terrain
850 tonnes de déchets, gravats, pierres, fers et plantes ont été évacués du terrain et triés. Cette opération a été effectuée et financée par la SEM Plaine Commune développement qui a mandaté l’entreprise ECD pour l’évacuation et le tri sélectif de ces déchets. L’entreprise a également travaillé à la sécurisation des accès « sauvages » du site, notamment avec la réparation des palissades ouvertes.
Cette première opération de nettoyage a permis de redécouvrir l’espace abandonné et d’en apprécier sa taille et sa situation.
Les études de sols ont été effectuées par le bureau d’étude indépendant BURGEAP à la demande de la SEM Plaine Commune Développement, afin d’être informé de la présence et de la nature des pollutions présentes sur la friche. Le but était de valider une occupation temporaire du site dans le cadre de la création d’une œuvre de Land art. La SEM Plaine Commune Développement souhaitait limiter les risques sanitaires et appliquer les recommandations de la DDASS de Seine-Saint-Denis.
Ces études de sols et le dossier de réalisation technique du Jardin des fissures ont été transmis à la DDASS de Seine Saint Denis, qui nous a ensuite adressé les recommandations à respecter pour permettre la réalisation de l’œuvre et l’ouverture au public du Jardin des Fissures. Cette opération a été financée par la SEM Plaine Commune Développement.
Le défrichage du terrain et l’arrachage de toutes les plantes présentes sur la dalle ont été réalisés par l’Unité Territoriale Espaces Verts de la communauté d’agglomération Plaine Commune. Les végétaux présents en grand nombre sur le site, ont été arrachés et coupés. Tous les déchets végétaux ont ensuite été broyés et transformés en paillis, stockés dans un coin du terrain pour être utilisés ultérieurement pour l’entretien du jardin.
Le nettoyage du terrain a été effectué par l’UT Propreté de Plaine Commune Développement : évacuer la terre et les poussières et nettoyer la dalle à l’eau. Le nettoyage a fait réapparaître tous les contours des anciens bâtiments, les fissures, les fosses, les rails, les bouches d’alimentation des cuves de produits chimiques.
Cette opération, effectuée par 12 employés de Plaine Commune, a permit de sécuriser cet espace abandonné du Landy et de permettre son ouverture au plus grand nombre afin que les habitants s’impliquent dans le projet sans risques sanitaires.
La création et la réalisation du tracé
La recherche documentaire aux services des archives de la ville d’Aubervilliers, nous a permis d’établir un historique du site au travers des six installations industrielles qui se sont succédées au cours du siècle.
L’intégralité de cette mission documentaire a été effectuée par l’association Didattica. Elle a consisté à réunir tous les plans des différentes installations industrielles et à identifier le type d’activité, les pollutions induites et les plaintes des riverains au cours des années d’exploitation du terrain.
L’analyse de ces documents a permis de reconstituer un plan synthétique des installations industrielles et d’identifier les zones sensibles du site.
La création du dessin de l’œuvre est le fruit d’une collaboration entre l’artiste et son producteur. Les différents plans des installations industrielles successives ont permis de créer le dessin sur la dalle de béton au sol et de localiser précisément les bâtiments et les pollutions présents sur le site. Furent repérés les fosses, les cuves et les ateliers ayant abrité des substances chimiques dangereuses.
Le tracé occupe une surface linéaire de 1340 m sur 0,60 m et environ 80 m2 de surfaces diverses (fosses, rails, bouches) soit 884 m2 au total.
Le sciage de la dalle de béton fut très long et fastidieux en raison des conditions climatiques mais aussi dues aux difficultés rencontrées sur le terrain. La partie la plus difficile de l’ouvrage a consisté à ouvrir les fissures de la dalle de béton d’une épaisseur de 15 à 20 cm avec une défonceuse à béton sur des largeurs de 40 à 60 cm.
Au cours de cette opération de découpe de béton, nous avons découvert un treillage métallique sur l’ensemble de la dalle de béton qui a occasionné beaucoup de dommages matériels.
Cette opération a été renouvelée cinq fois au total et une soixantaine de dents aux tungstènes de la défonceuse à béton furent nécessaires pour découper les 1,3 kilomètres linéaires de dalle.
Ensuite, nous avons effectués plusieurs passages avec une pelleteuse pour creuser les fissures sur une profondeur de soixante centimètres et évacuer la terre polluée dans une décharge spécialisée.
La contrainte technique de cette deuxième étape fût de ne pas briser le bord des dalles de béton avec le poids des grosses roues de la pelleteuse car elles étaient fragilisées après le passage de la défonceuse.
Remplissage des fissures à la pelleteuse avec de la terre agricole pour un volume global d’environ 330 mètres cubes (quinze camions) sur la totalité des fissures tracées. Cette mission délicate a été effectuée par l’entreprise DUBRAC TP qui a mobilisé les moyens matériels et humains nécessaires à la réalisation du tracé de l’œuvre au sol : soit cinq personnes par jour, deux défonceuses, deux pelleteuses ainsi que deux camions bennes mis à disposition pendant six semaines,
Bouygues Bâtiment de France a financé la moitié du coût total des travaux réalisés par l’entreprise DUBRAC TP.
Réalisation du jardin
La préparation de la terre agricole a été une étape importante, la terre livrée ayant besoin d’être aérée puis intégrée avec précision dans les fissures du jardin afin d’effacer les traces du passage des pelleteuses et de rendre le dessin de l’œuvre bien lisible.
Cette partie a entièrement été effectuée par l’artiste et son producteur, travail fastidieux de labourage au motoculteur et remplissage de terre de toutes les micros fissures ainsi que la plus grosse partie du déblaiement de terre excédentaire sur les dalles.
Le semis des graines a été réalisé en quatre phases distinctes selon le type de plantes et leur rythme de croissance :
L’entretien du jardin
En raison des dates de semis tardives pour la saison, il a été nécessaire de mettre en place un arrosage quotidien pour favoriser la germination, pendant le premier mois. Le circuit d’arrosage se compose de 300 mètres de tuyau d’arrosage manuel comprenant 6 arrosoirs automatiques intégrés. Une trentaine d’arrosages d’une durée de 6 heures ont été nécessaires pendant la période de juin à août 2010 pour favoriser et maintenir la pousse car il y a eu peu de précipitations aux mois de juin et juillet 2010.
L’arrosage a été assuré par l’artiste et son producteur, à l’exception du mois d’août durant lequel la Maison de Jeunes OMJA a pris le relais. Les mauvaises herbes ont été régulièrement arrachées jusqu’à la maturité des plantations pour leur permettre d’avoir une croissance plus forte. Nous avons mis en place des systèmes de protection des plantes contre les oiseaux nuisibles pendant la période de pousse (systèmes de fils nylon avec des mobiles réfléchissants). Le jardin des fissures était à priori le dernier endroit aux alentours où ces oiseaux pouvaient trouver des graines en quantité.
Ensuite, nous avons procédé au nettoyage de toutes les parcelles de béton au milieu et autour de l’œuvre. Le déblaiement de la terre excédentaire à la pelle, jet d’eau, raclette et balai a pris plusieurs semaines et a été fortement ralenti par les pluies, les poussières se déposant au quotidien sur la dalle.
Ce nettoyage de 3500 M2 de dalle béton a aussi été effectué par les enfants du quartier qui souhaitaient participer au projet, sous l’encadrement de l’artiste et de son producteur, et par des jeunes d’Aubervilliers, dans le cadre des contrats d’aide à projet personnel « Auber Plus », sous l’encadrement bénévole d’Adeline Besson et de Sophie Durel.
La transformation de cet espace en œuvre de Land Art a, dès le début, modifié l’aspect visuel du quartier. Elle symbolise les changements physiques d’un quartier en pleine rénovation urbaine.
L’assainissement de cette friche industrielle de 5000 m2 a permis d’atténuer la sensation d’abandon ressentie par les habitants. Ce qui n’était qu’un dépotoir urbain servant de terrain de jeux « dangereux » aux enfants du quartier est devenu le premier espace vert du quartier, préfigurant le futur square attenant au programme de construction prévu sur la friche.
L’apport d’une terre agricole saine et riche en provenance des établissements Richard (77), pour remplacer la terre polluée, a permis de rendre le sol stable, meuble et aéré. Le sol est alors devenu le pourvoyeur des besoins alimentaires de la plante :
Les semences ont également donné de la nourriture à tous les oiseaux présents sur le site, ce qui a eu pour effet d’amener des espèces habituellement absentes sur le département.
Deux raisons peuvent expliquer cette afflux massif d’une population d’oiseaux (composée de pigeons pour 70 %, de moineaux pour 20 %, de merles, de tourterelles, de pies et mésanges pour les 10 % restant ainsi que des variétés plus rares d’oiseaux tels que les corneilles noires) :
La biodiversité du sol a donc eu une incidence directe sur la biodiversité globale du jardin.
La floraison a fait changer radicalement l’environnement visuel du site de la zone du Landy. La conséquence de cette floraison groupée dans cet univers urbain a eu un caractère spectaculaire car les pollinisateurs ont fait leur apparition sur le site par milliers et nous avons eu une présence d’abeilles hors normes alors que leur raréfaction inquiète les scientifiques.
L’équipe de l’observatoire de la biodiversité est venue visiter le site et a été surprise par la variété et la quantité d’insectes présents sur le terrain alors qu’ils sont très peu présents dans les différents parcs de la ville d’Aubervilliers. L’ensemencage du terrain a contribués à la prolifération des abeilles et bourdons sur le site.
En conclusion, nous pouvons remarquer que l’introduction d’espaces végétalisés libres et non ordonnés en milieu urbain ont un effet immédiat sur le sol, sa faune et sa flore. A l’heure où nous évoquons les problèmes de raréfaction de la biodiversité hors et près des villes, nous montrons que l’implication de l’homme dans la création d’espaces verts, même précaires et éphémères, provoque une réponse biodiversitaire quasi-instantanée.